Je connais assez bien le Lac des Cygnes de Petipa/Noureev, chef-d’œuvre classique du répertoire que l’on ne se lasse jamais de redécouvrir. Mais je n’avais encore jamais assisté à une création de Matthew Bourne, chorégraphe britannique dont la réputation de réinventeur des grands ballets précède chacune de ses productions. L’occasion était trop belle : la tournée du revival londonien de Swan Lake fait escale en ce moment à La Seine Musicale. Voici mon avis sur ce Lac des Cygnes revisité.
Swan Lake a été créé en 1995 à Londres par Matthew Bourne et sa compagnie New Adventures. Bourne y réinvente le ballet conçu à l’origine par Marius Petipa et Lev Ivanov. Le prince, étouffé par une cour glaciale et une mère autoritaire, se trouve au bord du suicide. C’est alors qu’il a une vision : une nuée de cygnes mâles, puissants, inquiétants, l’attirent dans leur monde. Il tombe amoureux de l’un d’eux, avant que la réalité — et la société — ne le rattrape.
La production donnée actuellement à la Seine Musicale est quasi-identique à celle du revival du West End londonien. On y retrouve une scénographie impressionnante, où les changements de décors s’enchaînent avec une fluidité parfaite. Les lumières, tangentes, sculptent les corps et accompagnent la montée en tension dramatique.
Le premier choc, évidemment, vient de ces cygnes masculins, torse nu, menaçants, presque bestiaux. L’image est saisissante. Bourne inverse les codes du ballet romantique : ici, pas de tutus ni de pointes, mais des mouvements amples, ancrés au sol, presque lourds.
Le propos, profondément queer, reste bouleversant 30 ans après sa création. La transformation du conte romantique en drame identitaire résonne toujours, surtout dans la scène d’hôpital psychiatrique de l’acte IV, qui évoque les thérapies de conversion. Le spectacle déroule également une métaphore de la violence intra-communautaire et de la difficulté de faire couple en tant que personne queer.
En revanche, certains aspects de la narration ont mal vieilli. La satire de la monarchie et de la société mondaine britannique, omniprésente dans les années 1990, paraît aujourd’hui datée. Plus gênant encore : la représentation misogyne des personnages féminins, notamment celle de la princesse frivole, que Bourne dépeint comme ridicule et inconstante.
Sur le plan chorégraphique, j’ai eu un ressenti mitigé. Les mouvements, ni véritablement classiques ni franchement contemporains, manquent de légèreté à mon goût. J'ai en revanche été totalement happé par le dernier acte. La tension dramatique y atteint son apogée, les mouvements de groupe sont magnifiques, et la musique de Tchaïkovski, magnifiée par une subtile réorchestration, emporte tout sur son passage.
Swan Lake se joue à La Seine Musicale (Boulogne-Billancourt) jusqu’au 26 octobre 2025, avant de poursuivre sa tournée internationale.