En ce moment, le Vingtième Théâtre propose une étonnante production : Les instants volés. Ce spectacle musical écrit par Cyrille Garit, avec des musiques de Stève Perrin, une mise en scène de Nicolas Guilleminot et des chorégraphies de Stéphanie Chatton et Loïc Faquet, revisite les histoires d'amour naissant, sur fond blanc et odeur de désinfectant.
Le vingtième théâtre est une petite salle intimiste. Sur scène, un défilé de personnages hauts en couleurs, résidents et personnels soignants d'un hôpital psychiatrique. Dès le début du spectacle, Jean, infirmier, invite les spectateurs à visiter ce lieu surprenant et peu conventionnel pour l'intrigue amoureuse annoncée par le programme.
Et pourtant, on se laisse entraîner sans résistance. Sur des rythmes jazzy, le spectateur fait la rencontre des douze personnages de cette fresque, dont Lula, dépressive, et Max, bipolaire, qui tentent de vivre leur idylle en dépit des règles de l'hôpital et des médicaments. Chantant tous ensemble leurs maladies, leurs sentiments, leurs progrès, leurs joies et leurs déceptions, les quatre jeunes acteurs et leur pianiste Jibril Caratini Sotto nous transportent de tableau en tableau à la rencontre de leur surprenant quotidien.
La scénographie simple et efficace de Myriam Dogbe laisse le champ libre à Stefanie Robert (Lula), Alexis Mahi (Max), Lucie Riedinger (quatre rôles !) et Julien Baptist (cinq rôles !) pour occuper l'espace, par leurs voix et par leurs danses. Et ils le font à merveille. Les voix sont expressives, riches, communicatives. Les textes de Cyrille Garit sont crus et précis, décrivant avec justesse les difficultés du quotidien dans une unité psychiatrique. Un immense bravo aux comédiens pour leur incroyable énergie. Les enchaînements rapides et rythmés des scènes pour Stéfanie et Alexis, et même des rôles pour Lucie et Julien (avec parfois seulement quelques secondes pour changer de costume et de personnage !), ne laissent aucune place à l'ennui !
Les quatre comédiens et le pianiste s'amusent manifestement sur la partition de Stève Perrin. Sans chercher la prestation musicale parfaite, leurs interprétations nous transportent. J'ai particulièrement aimé les deux voix féminines, très complémentaires : celle puissante et torturée de Lula, et celle grave et chaude des personnages de Lucie Riedinger. Les accompagnements au piano épousent les voix, mises en valeur par une balance parfaite. J'ai simplement regretté l'utilisation de sons synthétiques trop artificiels sur certains morceaux, qui ne rendent pas du tout justice à la partition. À la fin du spectacle, pas de chanson titre coincée dans la tête, mais un festin de notes, de climats harmoniques et de polyphonies jusqu'à satiété.
La mise en scène de Nicolas Guilleminot est pleine de petites trouvailles. Dans un décor minimaliste, les métaphores visuelles s'enchaînent, avec un fil conducteur omniprésent : ces fils justement que l'on retrouve à chaque scène, pour connecter les personnages et incarner leur folie. Finalement, dans cette ambiance étrange et parfois un peu angoissante, on se surprend à rire facilement ! Les thématiques abordées peuvent être dures, certaines scènes violentes, mais elles n'en demeurent pas moins justes et intelligentes.
Les instants volés, c'est un spectacle chanté bien de chez nous, avec des moyens limités et un résultat surprenant. Car, tout en simplicité, c'est une joyeuse troupe très talentueuse qui nous emporte pendant 1h20, pour un voyage que j'ai vraiment adoré !
Merci à Der Traümer (remidertraumer@gmail.com), rédacteur invité pour cette critique !